Révision par les pairs : d’autres l’ont fait…venez voir !

Aucune méthode uniforme ne peut être appliquée pour les processus de soutien et de révision par les pairs. Les réseaux nationaux d’APAC et les organisations de médiation doivent adapter et expérimenter ce qui fonctionne le mieux selon le contexte. Des expériences pertinentes existent, entre autres, aux Philippines, en Équateur, en Colombie, en Indonésie et en Chine. Voir ci-dessous pour plus d’informations sur les processus de soutien et de révision par les pairs en Iran et en Espagne.

Le processus de soutien et de révision par les pairs en Iran

Un processus en quatre étapes a été défini par l’UNINOMAD, ou Union des tribus nomades autochtones d’Iran, en collaboration avec le Cenesta, ou Centre pour le développement durable et l’environnement.

  • Dans une première étape, les communautés elles-mêmes procèdent à trois évaluations :

1) une évaluation territoriale, impliquant une cartographie participative de leur territoire de vie ;

2) une évaluation écologique, comprenant l’ajout d’atouts écologiques aux cartes, les tendances écologiques actuelles et toutes les connaissances autochtones considérées comme pertinentes ;

3) une évaluation de la gouvernance, impliquant l’identification de l’institution de gouvernance coutumière et – si nécessaire – des mesures pour la renforcer.

  • Dans une deuxième étape, si les résultats des trois évaluations révèlent que la zone peut être considérée comme une APAC – territoire de vie, alors la communauté prend une décision libre, préalable et informée pour l’auto-reconnaître comme telle etl envoie ensuite la documentation relative au territoire de vie à l’UNINOMAD pour d’éventuels commentaires et questions.
  • Lors de la troisième étape, lorsque tous les commentaires et les questions sont résolus, l’UNINOMAD soumet ladocumentation et toute information supplémentaire au registre national des APAC en Iran, quiest géré par le Cenesta.
  • Au cours de la quatrième et dernière étape, le Cenesta prépare la documentation en vue de soninclusion au registre international des APAC et/ou au WDPA. À ce stade, l’information est également envoyée aux organismes gouvernementaux concernés, pour leur information et pour être incluse dans les rapports sur les accords internationaux.

Visite du Cenesta to appuyer la première étape du processus de soutien et de révision par les pairs. Photo: Cenesta


Le processus de soutien et de révision par les pairs en Espagne

En 2015, Iniciativa Comunales a rédigé le premier « Protocole de révision par les pairs des candidatures au registre des APAC en Espagne ». Iniciativa Comunales est une association de communautés locales qui gouvernent collectivement les ressources naturelles, représentant des milliers d’individus en Espagne. Les autres membres comprennent des organisations de soutien et des personnes concernées. En 2017, les deux premières communautés ont été inscrites au registre des APAC et en 2020, six processus d’inscription ont été achevés et quelques autres initiés. La version actuelle du protocole a été approuvée en 2019 (télécharger en espagnol).

Dès le début, il y a eu un fort consensus parmi les communautés sur la nécessité de garantir la qualité du registre. Pour éviter les « faux positifs », il était primordial que le processus garantisse que les territoires inscrits possèdent les trois caractéristiques des « territoires de vie » : 1) un lien fort entre la communauté et son territoire ; 2) une institution de gouvernance qui fonctionne bien et 3) la conservation de la nature et une contribution aux moyens de subsistance et au bien-être.

La gardienne d’une communauté de ramasseurs de coquillages en Galice. Photo: iComunales.

Pourquoi cela est-il nécessaire ?

Pour mieux comprendre les préoccupations des communautés concernant la qualité du registre, il est important de souligner qu’en Espagne, il existe de nombreuses zones gouvernées par les communautés (les « communs » par exemple) ; cependant, dans certains cas, la gouvernance communautaire effective est presque inexistante en raison de l’érosion culturelle, de l’émigration et du vieillissement de la population. Certaines de ces communautés signent des accords par lesquels des acteurs externes (généralement des entreprises) gèrent les ressources naturelles de la zone selon leurs propres critères de marché pour une période de plusieurs années. Cela a de graves répercussions sur la gouvernance locale, les objectifs de conservation et les autres utilisations sociales et de subsistance du territoire. Par exemple, en vertu de ces accords, d’immenses zones communes sont généralement plantées de monocultures d’Eucalyptus, une espèce exotique envahissante, en vue d’une exploitation forestière lucrative à court terme. En conséquence, les communautés perdent leurs pratiques de gouvernance quotidiennes et leur attitude passe d’une relation complexe et culturellement riche avec le territoire à une simple recherche de revenus.

En incluant ces cas comme des territoires de vie authentiques, le registre incorporerait des « faux positifs » et diminuerait sa valeur ainsi que la capacité des communautés inscrites à l’utiliser comme un outil de plaidoyer. Pour cette raison, les communautés ont accepté de recevoir des commentaires et des questions externes et anonymes de la part de membres de deux autres communautés pour établir un « rapport de révision ». Ces rapports sont confidentiels et selon notre expérience, la critique constructive par les pairs peut être un fort moteur pour le renforcement interne des processus communautaires.

Comment cela fonctionne-t-il ?

Les communautés candidates acceptent de se soumettre à un processus participatif de soutien et de révision par les pairs, basé sur :

  • les informations fournies par les communautés candidates dans les formulaires officiels du PNUE-WCMC (l’entité gestionnaire du registre des APAC) et de Iniciativa Comunales (l’organisation de médiation) ;
  • les rapports de révision par les pairs de deux membres anonymes d’autres communautés ;
  • toute autre information pertinente fournie par la communauté candidate ou d’autres personnes.

Ce processus est facilité par Iniciativa Comunales. Une fois que les rapports d’information et de révision sont complets, le comité directeur de Iniciativa Comunales apporte un avis motivé sur les candidatures à l’assemblée générale de l’association. La décision finale est alors prise par tous les membres collectivement (selon les règles de l’association, les votes des membres non communautaires, y compris les individus, les OSC, les centres de recherche, etc. ne peuvent dépasser 40% du total).

Le protocole guide ce processus et au fur et à mesure des besoins, il est réévalué et révisé. Les changements proposés sont régulièrement débattus puis approuvés par l’assemblée. Le protocole prévoit également une révision par les pairs de toutes les APAC inscrites tous les cinq ans.

 

Leçons apprises

  • De nombreuses communautés, dont d’excellentes candidates, ne considèrent pas le registre comme une opportunité intéressante, car il ne fournit « que » de la reconnaissance. Il faut aller plus loin.
  • Un processus transparent de révision par les pairs est un défi : il nécessite un engagement fort des membres du réseau des APAC (qui existe en Espagne), ou un budget important (qui n’existe pas en Espagne). Dans tous les cas, il nécessite beaucoup de temps et des personnes expérimentées et responsables. Les références antérieures sont rares et il est difficile de trouver un équilibre entre « faire simple » et développer un système fiable qui tienne compte des besoins de tous les acteurs et évite l’épuisement collectif. Nous sommes inquiets à ce sujet et nous explorons de nouvelles approches pour améliorer la résilience du processus.
  • Il y a de sérieuses limites à un « système de médailles » qui se concentre uniquement sur les exemples de territoires de vie les plus emblématiques. Cela peut avoir le résultat pervers de promouvoir l’élitisme. Une réponse binaire « oui/non » à la question « est-ce un territoire de vie ? » exclut la plupart des cas, en se basant sur une image statique à un moment donné, ignorant les efforts, processus ou tendances actuels.
  • Un registre basé sur cette approche a une capacité de transformation limitée. Une nouvelle approche intégrative est nécessaire, pour fournir une reconnaissance et un soutien appropriés à toute communauté cherchant à être incluse dans le registre – indépendamment de sa qualification actuelle en tant qu’APAC ou non. Nous travaillons actuellement sur cette approche, que nous appelons le Vivero (« pépinière de plantes » en espagnol, voir figure ci-dessous).
  • Un mécanisme doit être instauré pour intégrer de manière constructive les désaccords. La bonne volonté et le « fair-play » ne doivent pas être considérés comme acquis. Nous devrions chercher à tirer le meilleur parti des désaccords constructifs et à la fois prévenir et contrer les positions et les actions destructrices.
  • Un système de gouvernance clairement défini doit être mis en place, avec un conseil de confiance chargé de résoudre les conflits et de prendre les décisions finales, ainsi qu’une politique visant à éviter les conflits d’intérêts. Pour limiter la concentration du pouvoir, ce conseil devrait être responsable devant une large représentation des communautés qui sont des candidates potentielles au r Ses décisions devraient pouvoir faire l’objet d’un « appel » et sa composition d’une « contestation ».
  • Tous les participants doivent accepter explicitement de se conformer aux règles communes établies.
  • Il convient de prêter attention aux déséquilibres dans les caractéristiques géographiques et sectorielles des candidates au registre car ils peuvent entraîner des distorsions dans le pouvoir de représentation : si certaines régions ou certains secteurs (par exemple, la foresterie, l’irrigation, la pêche) dominent la vision de ce qu’est et devrait être un territoire de vie, d’autres peuvent alors en être exclus. Nous n’avons pas réussi à prévoir cela au départ, mais nous apprenons à nous améliorer.

Réflexions pour une nouvelle approche du registre des APAC

Nous travaillons à la construction d’un processus constructif et collectif pour soutenir toutes les communautés désireuses de renforcer les trois caractéristiques clés de leurs territoires de vie, indépendamment de la force de chacune d’entre elles à un moment donné, ou de leur intérêt pour le registre ou non. Dans ce processus de soutien, le registre ne doit pas être un objectif à court terme, mais un des nombreux outils permettant d’améliorer les caractéristiques d’APAC d’un territoire donné dans le cadre d’une approche à long terme.

Pour articuler ce processus, nous proposons le « Vivero des APAC », (ou « pépinière d’APAC ») : au lieu d’une décision « oui ou non » (soit vous méritez la reconnaissance, soit vous êtes écarté), l’attention serait portée sur une échelle progressive, comportant plusieurs seuils selon les défis et les accomplissements pour chacune des trois caractéristiques, ainsi que les processus et les tendances promus par une communauté. Ce serait également l’occasion pour les communautés d’APAC déjà enregistrées de partager leurs expériences et d’aider les autres à améliorer les systèmes de gouvernance, les stratégies de conservation et d’autres aspects, tout en continuant à apprendre et à renforcer leurs propres territoires de vie – dans le vrai sens de l’expression « soutien par les pairs ».

Préparé par Iniciativa Comunales; pour plus d’informations, écrivez à : hola@icomunales.org

Traduction : Ulrich Douo